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Sollers, le musicien de la vie

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Sollers, le musicien de la vie

Sollers, le musicien de la vie

Avec Sollers, le musicien de la vie, Yannick Gomez révèle comment la musique est pour Philippe Sollers le moteur profond de son éthique, comment la quête croisée, littérature / musique de cet autoproclamé Vénitien baroque ordonnance son œuvre, encadre sa vie, par la sublimation de tous les sens ! Sollers rhapsode, Sollers chantre de sa propre légende, au-dessus de laquelle il se dresse comme un prophète, suscitant toutes les réactions, Sollers qui pourrait inscrire sur l’enseigne de son entreprise : « musique, la fleur des mots ».

C’est la première fois qu’une étude aussi approfondie sous l’angle de la musique est réalisée sur l’œuvre protéiforme de Philippe Sollers. Yannick Gomez a relevé le défi. Il en ressort un portrait intime de cet écrivain paradoxal. Pour l’auteur, Sollers est musicien de son corps, de sa langue. Il est donc un musicien de la vie. Redécouvrons l’œuvre et laissons Philippe Sollers retourner en la compagnie tutélaire de sa chère Trinité : Mozart, Haydn, Bach. Requiescat in pace.

Alain Joly

ISBN : 978-2-491657-10-9
EAN : 9782491657109

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Yannick Gomez Pianiste, compositeur et essayiste, Yannick Gomez est titulaire d’un doctorat en interprétation (piano) de l’Université de Montréal. Il est l’auteur de l’essai D’un musicien l’autre, de Céline à Beethoven (La Nouvelle Librairie, 2023). Il a contribué à l’ouvrage collectif 90 ans de Voyage, Céline et nous, coordonné par Émeric Cian-Grangé (La Nouvelle Librairie, 2022).

Extrait 1 : extrait de la préface de Rémi Soulié

Le Vénitien de Bordeaux, Chinois de Paris, note que le yin-yang est « une liaison de raison qui n’a rien à voir avec la raison des philosophes » et que « [ses] romans sont des liaisons de raisonnements » (Centre) ; il aurait aussi bien pu dire d’éclairs – d’ailleurs, il les a calligraphiés7, mais il tenait à tout prix à faire entendre ce « raisonnement » pour qu’y résonne le résonnement :

Une saison en enfer, une raison en enfer. (…) On n’a pas encore compris pourquoi raison doit s’écrire et s’entendre aussi comme réson. Raisonnez, mais n’oubliez pas de résonner, sans quoi votre raisonnement sonnera creux un jour ou l’autre. L’entendement est à ce prix. (Les Voyageurs du temps)

L’entendement, enfin, c’est-à-dire, ici, l’intellect, la raison illuminée, la raison poétique, la raison musicale… l’audition, au sens strict. Oui ou non entendez-vous les voix, ce qui revient à les voir ? Yannick Gomez, assurément, oui : celles de Bach, d’Haydn, de Mozart, de Sollers et de tous les autres. Son entente est intelligente et futée ; sa justesse, finesse. Rien d’étonnant puisqu’il est musicien, célinien – et, même, discrètement, proustien ; il avait vocation à se mettre à l’écoute, en direct, ici et maintenant, pour surprendre l’accomplissement joyeux et ses inévitables discordances ou « dissonances » (sans quoi l’infini ne le serait pas). Intervalles, proportions, médiétés arithmétiques, géométriques, harmoniques, Nombres (1968) : la partition est admirablement déchiffrée. « Allez, musique » (Les Voyageurs du temps).

Rémi Soulié

Extrait 2

Les multiphonies et répétitions que l’on entendra seront celles de la vie, avec toutes les dissonances qu’elle comporte. Toutes les âpretés acheminant aux sensualités généreusement dévoilées dans ses livres. Ces mêmes duplicités et contradictions du yin et du yang qui furent si fréquemment incomprises, tues, balayées, négligées, cataloguées, emprisonnées, diabolisées, généralisées, décontextualisées par la morale bétonnée. La musique de cette œuvre répondant à celle de la vie, il était donc vital d’enfin étudier cette dimension, ce résidu capital trop enfermé, sorte de poisson rouge embourgeoisé, étincelant, mais crevant d’inattention. La musique – cousine éloignée et si proche de la littérature – est fragile, malgré l’immensité de sa nappe qui a recouvert les siècles.

Extrait 3

La musique est affaire de corps éveillé, révélé à lui-même par les absorptions qu’il fera, alternativement, entre le sacré et le vice. C’est du moins comme cela que Sollers l’envisage. Les siphons de mots que représentent et Paradis, et avant eux Nombres et Lois, représentent une césure dans la trajectoire stylistique de l’auteur, tant que dans l’histoire de la littérature du vingtième siècle, et surtout dans le langage lui-même. La caractéristique de cette prose nouvelle est qu’elle implique le lecteur – corps et âme – dans le processus, et ce, dans des proportions pour lesquelles il n’était que peu disposé jusqu’alors. Cette lecture demandante, exigeante, impose une nouvelle audition de sa propre voix intérieure pour refaire sens vis-à-vis du texte qu’il a sous les yeux. L’ajustement principal à réaliser n’est pas seulement visuel ou textuel, il est aussi logique et rythmique, ce qui achemine l’acte de lire à une réorganisation musicale du flux. Cette recherche du sens peut tout à fait se comparer à celle d’un auditeur écoutant attentivement de la musique de Webern ou de Berg. La nappe sonore de ces compositeurs se déployait selon une approche et une élaboration dont le langage tournait le dos au système tonal jusqu’alors prééminent. Il faut donc se défaire de toute approche normée et conformiste, voire confortable, pour aborder les livres expérimentaux de Sollers, pour en goûter leur musique, dissonante et respirante à la fois, vivante et débordante, assommante et aérienne, rendant caduques les moindres tentatives de la décrire, tout en nous offrant de multiples angles d’approche. Ces paradoxes une fois énumérés, il n’est que d’invoquer la musique, qui par l’extrémité de ses ressources dynamiques et d’émotions, s’impose tranquillement. Sollers l’affirme dans maintes phrases plus ou moins évocatrices selon le contexte qui l’entoure, mais retenons-en quelques-unes des plus cachées, en espérant que selon la science des contraires chère à Sollers, elles se lisent comme tout à fait sensées. Après ce juvénile aveu que nous avons relevé d’Une curieuse solitude, d’autres sentences extraites des romans avant-gardistes viennent conforter cette inclination pour la musique. Dans Nombres : « […] le tympan révélé, frappé, saturé par le cœur intermittent, cassant, retrouvé dehors musicalement […] »39 [Je souligne]. Plus tôt dans le texte, il nous donne une des fonctions qu’il entend insuffler à sa prose : « Grand accord échappant déjà aux mesures. Grand volume plaqué et défait. »40 Ce « grand accord échappant déjà aux mesures » semble parfaitement épouser le parallèle avec la musique du 20ᵉ siècle, qui vit l’émergence de certaines œuvres sans barres de mesure (certaines œuvres de Satie, Messiaen, Murail, etc. et bien entendu Bach et les nombreux récitatifs avant eux). La volonté de libérer le souffle de notes comme de mots achemine à ce dynamitage du cadre habituel : ponctuation pour la littérature, barres de mesure pour la musique. S’il fallait encore renforcer l’argument d’un Sollers musicien, de la vie comme de l’écriture – est-ce bien différent ? – je serais tenté de citer cet extrait de H, dont l’aspiration musicale semble indiscutable : « Apprenons à la langue à chanter et elle aura honte de vouloir autre chose. »41

Il semble que Sollers n’ait eu honte de quoi que ce soit, et surtout pas que sa langue eût chanté. Sollers est donc musicien de son corps, de sa langue. Il est donc un musicien de la vie.

6 décembre 2025

Merci à Pascal Louvrier pour sa chronique sur le livre de Yannick Gomez, "Sollers, le musicien de la vie" aux éditions Nouvelle marge : Sollers nous revient sous les traits d’un maestro. Il connaissait la musique, celle des classiques révérés – Bach, Haydn, Mozart – mais aussi celle des mots, les siens, précis, bondissants, harmonieux, sans oublier celle de nombreux autres, « les voyageurs du temps », morts plus vivants que les vivants. Sollers a joué sa partition en virtuose de la vie. Il a tenu en respect les dévots, les femmes fatales, les fonctionnaires du culturel, les universitaires sentencieux, les spectres de la Société du Spectacle, les programmés du système, les peine-à-jouir de l’édition, il a mené une guerre totale, celle du goût, loin de la légion des fausses valeurs...

https://www.causeur.fr/yannick-gomez-sollers-le-musicien-de-la-vie-319705?

3 décembre 2025

Quelques souvenirs du Cercle Nouvelle Marge autour du dernier livre des éditions Nouvelle Marge : Sollers, le musicien de la vie. Nous étions en présence de l'auteur, Yannick Jm Gomez, de son préfacier, Rémi Soulié, du spécialiste de Sollers, Pascal Louvrier, et de grands lecteurs et amis dont Thomas Desmond, Gabriel Boksztejn, Pierre Cormary, Alain Joly, Pierre-Marie Sigaud, Guillaume de Galard, Guilaine Depis... Heureux d'avoir fait le gentil animateur de cette soirée littéraire, dans cet esprit français donc sollersien.