Parce que le verbe peut modifier un etre

Fin.

Fin.

Thomas Desmond

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Fin.

Fin.

Vivre, c’est perdre du terrain. La mort nous attend dès notre premier souffle, elle nous observe, goguenarde, jusqu’au dernier, à cet instant où la comédie prend fin. Tout vivant est en sursis…

Fin. est l’histoire du père de Thomas, de sa belle-mère, Chantal, et de Thomas lui-même, pris dans le piège de la vie, le tout hissé d’un degré par la lucidité d’un écrivain qui refuse de se monter le bourrichon et qui, par ce refus, écrit un grand roman. Et il n’y en a pas tant que ça. Notre époque n’est pas toujours à la hauteur de l’apocalypse à laquelle toute civilisation et toute vie sont acculées : il faut retenir le nom des bienfaiteurs qui ont le courage de ne pas se cacher les yeux avec les pages d’un roman.

Patrice Jean

ISBN : 978-2-491657-03-1
EAN : 9782491657031

Dans Fin., le cancer s’invite dans la banalité des petites vies, la mort rôde, le grotesque et le tragique se mêlent pour au final dire ce qu’est l’humain. Thomas ne pouvait survivre à cette accumulation pathétique de drames qu’en inventant une langue, qu’en devenant écrivain.

#cancer #famille #ironie

« Après trois quatre séances de cocktail chimio velouté crabe, fini la vie active ! à tout jamais. Arrêt maladie perpétuel, conduire trop dur, réfléchir impossible, matière grise en purée, trouver comment ne pas vomir sa seule préoccupation. De nouveau coincée à la maison, déprimée coucouche panier, les allers-retours incessants à l’hôpital sa nouvelle routine, sa vie, enfin ce qu’il en restait. »
Thomas Desmond Graphiste indépendant né en 1981 au Maroc, Thomas Desmond vit en Touraine, Fin. Est son premier roman.

Extrait 1

Coup de pot, sa comptable lui racheta la boutique. Clé sous la porte, plus rien à gérer, le gamin par ses parents élevé, du temps libre pour profiter, faire ce qu’il aimait. Sans perdre une minute il s’embaucha deux bleds plus loin dans le bar restaurant de sa frangine. Enfin il était dans son élément, le paradis bouteilles, damné volontaire aux tourments liquides, derrière le comptoir pour de bon il incarnait. Tyran intraitable, maître et bouffon, arroseur d’arsouilles comme plus tard de plantes et légumes, il dirigeait son propre théâtre, la scène toute à lui. Les thunes rentraient, gonflaient le tiroir-caisse, débordaient, d’où l’idée du projet : son saloon, avec son blaze ses couleurs, succès assuré il pensait. Je comprends le calcul, il y avait sans doute plus de poivrots que de pêcheurs à la ligne dans les environs. Le vice mortel il n’y a pas mieux pour faire sortir les ronds.

L’émancipation le démangeait, il voulait leur montrer à tous qu’il était capable de grandes choses, qu’il allait se remettre des échecs et réussir, que sa nouvelle affaire marcherait du feu, la crème du canton tous les soirs accoudée jusqu’à pas d’heure, le crédit remboursé en peu d’années, vite riche à s’ennuyer.

Le reste de la famille, mes tatas mes tontons n’étaient pas convaincus. Ce n’était pas des friands de la bibine ou des estaminets. Déjà leur sœur, maintenant le petit frère, ça faisait beaucoup pour une fratrie de buveurs d’eau. Mais personne n’osa lui dire franchement qu’il aurait mieux fait de retourner dans l’architecture, loin des assommoirs ; de toute manière il n’aurait rien écouté. Certains ne voient pas les couleurs, d’autres ignorent tout ce qui touche à la vérité.

Dans le bled, il était de toutes les gargotes, mais son rade préféré il l’avait en vue. La patronne c’était une copine ; elle vendait le fonds de commerce et la baraque autour avec, des caves au grenier. Des mètres carrés dans tous les coins, plafonds très hauts quadrillés en kilomètres de poutres énormes, des murs en pierre taillée qui n’avaient pas bougé depuis la Renaissance, un presque monument historique, une des plus belles guitounes du bourg.

Mon père n’en dormait plus. Fallait du gros pèse, la somme colossale pour l’époque vu les taux proches de l’usure. Dégoter un gentil banquier pas trop regardant sur le dossier, lui soutirer une mensualité pas étouffante pour dégager un chouya de bénéfice, et roule ! Ma grand-mère voulait bien aider un peu mais il en manquait gros. Les restes de la quincaillerie déjà tout bouffés, et le grand-père pas friand du concept. Lui aussi faut dire sensible à la rincette ; ça l’emmerdait de voir son fils prendre ce chemin alcoolisé.

C’est là qu’arrive Chantal.
Elle pareil fêtarde sérieuse, la noce en tournée permanente, la danse dans le sang, la passion du chant malgré sa voix casserole, et le whisky dans les petits verres à babys. Beaucoup moins engloutisseuse que mon père mais douée pour une femme. Elle s’appliquait à dissoudre dans les bulles des chagrins terribles, dès 19h après le bureau, quatre ou cinq soirs par semaine.

Ça avait dû les rapprocher leur cœur malade ; le malheur c’est toujours l’aimant maouss. Pourtant leurs caractères pas du tout adéquats : craintifs chiens battus à retrousser les dents pour des riens, orages et tempêtes quotidiens, mais Chantal pâmée ensorcelée. Mon père c’était encore le beau grand brun bien bâti, sorte de prince dont elle tomba très amoureuse. Elle en quémandait à toute force du bonheur, une jolie vie nouvelle pour oublier comme on l’avait abîmée. Elle savait au fond qu’elle ne s’en remettrait jamais, mais elle voulait quand même essayer une dernière fois, et tant pis s’il fallait y croire pour deux

Extrait 2

Les choses n’en finissaient pas de ne jamais s’arranger.

Tout s’aggravait et s’abîmait, comme la maison, par manque de soins. L’océan d’alcool en marées quotidiennes ruinait tous les efforts, pourrissait tout. Piégés dans ce bar, jamais ils n’auraient pu aller mieux ; je le comprends maintenant avec le recul. Il aurait fallu partir, ficher le camp, s’éloigner du bled et des bouteilles, s’enterrer au sec dans un désert, retourner au Maroc s’installer derrière une dune, pas loin d’une source, l’eau le seul remède.

Mon père se laissait noyer sans broncher, attendant sans doute une intervention divine, comme la fois où son frère l’avait sorti du lac ? Il suivait sa pente, niait toute erreur, le pied soudé à la pédale d’accélérateur, freins coupés et tant pis pour le mur, le gouffre en face qui approchait. Que faire ? Les nouvelles lois pas bonnes du tout pour les rades à glouglous : interdiction de fumer, de boire, de se garer, flics partout, radars, permis à points, que des vacheries pour tuer les débits. La tyrannie douce par la consommation, rester enfermé chez soi bibelot devant son écran à bouffer de la pub.

Quand il était las d’accuser l’état, le RSI ou les flics, mon père s’attaquait à Chantal. Elle lui répétait cent fois par jour « T’es qu’un bon à rien ! », que c’était lui sa tronche que les clients pourtant assoiffés poches ne voulaient plus voir, tous vexés remballés, boudeurs chats échaudés. Mon père admettre ? le Pérou ! jamais il n’aurait avoué la moindre faute, la plus anodine faiblesse.

Le chiffre d’affaires les bénéfices il ne s’en occupait même plus. Chantal se lamentait qu’ils étaient tout le temps à découvert, que le bateau prenait l’eau. Lui se contentait de ricaner quand elle lui brandissait les liasses de relevés bancaires, les colonnes de chiffres. Il bâillait, pas concerné comme d’habitude, l’argent les billes pas son problème, l’attitude grand seigneur face au dur.

Mais il l’avait mauvaise quand même, toute sa clientèle envolée, les copains disparus ou fâchés qui en profitaient pour changer de crémerie, s’installer chez les confrères, disparaître à tout jamais. Puait le gaz lui ? Douillets susceptibles ces petites tronches, de l’amour ses vannes, rien d’autre, son caractère quoi… châtiait bien, c’est tout, pas plus. Il pensait qu’ils finiraient par comprendre sans qu’ils aient à leur dire, mais ça ne prenait pas. Les types préféraient les établissements où le patron ne les insultait pas, ne se foutait pas de leur gueule tous les jours ; ça se pige.

Il tournait aigri, de plus en plus révolté. Tout ça bien sûr ça pouvait qu’être la faute de Chantal ! Sa jactance, sa voix stridente de chat écrasé, pivert enrhumé, marre ils en avaient de leurs prises de bec les clients, lassés spectateurs. Il essayait de lui démontrer que c’était elle l’ennui, la cause de tous leurs soucis. Ça relançait les altercations.
Ils se vengeaient entre eux pour passer le temps, c’est comme ça que j’ai appris le vocabulaire. Pas un jour, pas une heure sans mots pas beaux, accusations terribles, insinuations perfides, moqueries énormes. Je ne comprenais pas toujours bien le sens profond des tirades ; l’ironie, le sarcasme, je prenais tout comptant, au tout premier degré. Je me faisais un flan sur deux trois mots, hors contexte tout me paraissait incroyable, des semaines entières à ne plus dormir, le cœur battant en état de choc, hanté perplexe à me demander si c’était bien vrai que mon père se droguait ? prenait de la chnouf ? s’il était pédé phoque comme Chantal lui avait balancé à table je ne sais plus à propos de quoi. De pathétiques histoires du bar, vannes mal digérées, régurgitées, toujours bien puantes.