PARCE QUE LE VERBE PEUT MODIFIER UN ETRE

À l'aube d'un paradis occasionnel

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À l'aube d'un paradis occasionnel

À l'aube d'un paradis occasionnel

Dans la Russie soviétique de Gorbatchev, Hugues, un étudiant français, découvre, dans une atmosphère de chaise électrique et de corruption, les tremblements d’un pays à la dérive.

Dans une langue inventive et drôle, une ambiance kafkaïenne joyeuse, ce jeune homme est plongé dans de multiples aventures qui manifestent la vanité des petites vies et annoncent la chute du Mur.

Moscou est déglinguée mais la Russie est le plus beau pays du monde, surtout quand les fous, les nationalistes, les Congolais, les belles femmes, les alcooliques s’exhibent sur cette avant-scène de l’Apocalypse. Les bavardages soulent autant que la vodka. Les non-dits succèdent aux malentendus, et les gueules de bois aux célébrations alcoolisées. De quoi en perdre son latin, soupçonner tout le monde, et finir par comploter contre soi-même.

ISBN : 978-2-491657-09-3
EAN : 9782491657093

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Valéry Molet

Valéry Molet est né en 1968, une contre-année parmi d’autres. Il est historien de formation et ancien élève de l'ENA (promotion Léopold Sédar Senghor). Il exerce des responsabilités depuis une quinzaine d'années dans l'administration des collectivités territoriales et des établissements publics. Il écrit des poèmes pour de nombreuses revues. Il dit qu’il serait prêt à tout sacrifier à la poésie. » Avec une faculté transformer l’ordinaire en mystère, Valéry Molet nous livre, dans ses romans, des récits où vivre redevient une possibilité.

Aux éditions Nouvelle Marge :

  • La séquestration du carbone - 2020
  • Au fond de la rade, roman - 2019
  • Animaux vivants à l’intérieur, recueil de poésie - 2018

Aux éditions de la P’tite Hélène :

  • La pâture des vers, roman - 2017
  • Le sort de l’animal, roman - 2018

Aux éditions de l’Echappée Belle :

  • Le nœud du pendu, recueil de nouvelles - 2018

Aux éditions Ex Aequo :

  • Le crématorium inutile, recueil de poésie - 2017

Aux éditions Sans Escale :

  • Aucune ancre au fond de l’abîme, recueil de poésie - 2019

Extrait 1

Université Lomonossov ! dit Hugues, ému et orphelin, au taxi. Le chauffeur roula des mécaniques pour prendre la valise et l’installer dans un coffre encombré de crics, de marteaux et de tous les ustensiles propres au marché noir. Sa voiture combinait l’éloge de la construction artisanale et du monde amphibie : en effet, cela sentait le vrac et l’humidité paléontologique. Une fois sur la banquette arrière, Hugues lui expliqua il ne savait trop pourquoi, que, grâce à un attaché d’ambassade, il avait réussi à s’inscrire à la faculté Lomonossov, mais qu’aucune délégation n’avait jugé bon de le cueillir à l’aéroport. Le type bâilla et gueula un vivat. Il regardait Hugues par en dessous, du moins autant que son ébriété le lui permettait. Il agita la main pour attraper un coléoptère imaginaire comme la liberté. Ils avançaient avec la vieille auto-gastéropode. Le léninisme s’appliquait même sur les bagnoles : deux pas en avant, trois pas en arrière. Ils lambinaient donc sur ces routes russes, délicieusement bosselées. À droite et à gauche, les arbres grasseyaient avec ferveur, propulsant le vent au-dessus de leur cime dans un tumulte de pots d’échappement. Il y a un argot de la forêt comme il y a une bêtise des situations. Ici, les bouleaux revendiquaient leurs teintes rousses et le droit à la scierie en se courbant à la manière des âmes mortes. Le chauffeur avait le nez sur le klaxon. À chaque camion qu’il doublait, en slalomant entre les ornières et les relèvements de la chaussée, il faxait une pétarade. Chaque arbre aussi était destinataire de sa fureur. La radio était allumée et nous tançait en faisant rouler les « r » matutinaux et martiaux. Les chansonnettes reniflaient le clairon et le pet de chambrée. Les écervelées, qui couinaient, étaient toutes des filles de maréchaux visiblement. On aurait eu honte d’être une douche. Le chauffeur parlait et riait, mélangeant vivats, hourras et rots. Hugues se sentit soudain las comme s’il avait marché dans la poudreuse depuis l’avènement des Romanov.

Extrait 2

Eudoxie recula un peu, ne sachant s’il la flattait ou l’offensait. Il avait l’hypothalamus sur la langue et des phrases lui venaient vacantes, sans propriétaire. Il roula de droite et de gauche, n’entendant plus le clapotis et le chipotage des autres conjurés. Pendant quelques secondes, le silence fut un peu moins légendaire qu’à l’accoutumée. Le retour en force du biniou vocal le désarçonna. Dans une touche d’ironie, Hugues fit craquer les sacs d’abeilles séchées de ses doigts. Eudoxie lui marquait de la pitié, cette tendresse de femme. Elle lui retira son verre des mains pendant qu’Auguste reprisait l’espace pour les rejoindre : Alors, tout se passe à ta guise, Hugues ? C’est beau de faire connaissance, hein ? Dans ce hein, Hugues entendit un heil. L’électricité se chargea d’atmosphère. Le crâne d’Hugues était en pain perdu et reflétait le b-a-ba d’une commotion. Auguste était droit comme un i et les camouflets qu’il destinait à Hugues avaient été exhumés avec un soin tout particulier. Il allait commencer la salve lorsqu’Eugène lui sauva la mise en s’immisçant dans le trio. Devant cette apparition, Auguste battit en retraite, dissimulant sa méchanceté sous un air narquois. Eudoxie eut un petit hoquet, mais Hugues sentit qu’une connivence curieuse saupoudrait ces trois êtres. Il imaginait sans difficulté qu’ils se côtoyaient de longue main, que leurs habitudes respectives étaient déterminées par la chaleur animale que chacun d’eux dégageait. Hugues se sentit de trop comme un aoûtat. Cela redoublait son malaise. Il défaillait et personne ne s’en souciait. Une otite générale drapait la pièce. On n’entendait ni ses plaintes internes ni le râle qui leur tenait la patte, et sa douleur n’interrompait pas la réclame idéologique dans laquelle tous engonçaient leur intimité. Tous ces hôtes avaient une idée fixe qui dépassait la fixation des délires : bluffer ceux qui leur ressemblaient. Rien n’était plus grégaire que ces ponchos. Cela les rendait mystérieusement impénétrables. Cette obscurité moutonnière, ce besoin tacite donc de démettre le voisin les titularisait enfin. Plusieurs dizaines de minutes s’écoulèrent ainsi dans le bêlement alcoolisé. Les causettes s’affadissaient au point de presque devenir inutiles. Seule leur force d’inertie les empêchait de mourir. Eugène et Auguste allaient d’un bout à l’autre de la pièce, prenant des nouvelles de chaque participant. Hugues avait remballé ses points de vue. Eudoxie lui jetait des regards bizarres, un peu froids, mais son silence lui convenait. Leurs mains se frôlèrent plusieurs fois pendant qu’ils se servaient l’un à l’autre des canapés au pâté d’alouettes. Ces frôlements les décoinçaient. Autour d’eux, la décence du début faisait place peu à peu aux voix en forme de guitares, aux chants grivois et mélancoliques. Hugues accrocha Auguste au milieu des clameurs et des barytons :

— Alors, c’est tout ? C’est une amicale ou quoi ?

— Écoute, mon vieux, on verra plus tard. On attend Vladimir et son ami. Amuse-toi pour l’heure. C’est en ton honneur. Cela ne te plaît pas. Eudoxie est là, n’est-ce pas ? Elle te regarde. Je crois que tu l’as séduite.